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Peine complémentaire de confiscation d’un bien appartenant à un tiers

Edouard Steru


Peine complémentaire de confiscation d’un bien appartenant à un tiers

Cass. crim., 11 mars 2015, n°13-88250, non publié au bulletin


Afin de contourner les règles fiscales françaises et algériennes, les prévenus ont mis en place un système de change parallèle permettant de collecter des fonds auprès d’immigrés algériens installés en France puis de les convertir sous forme de machines outils livrées en Algérie ou de les changer en dinars avant de les remettre à des destinataires désignés en Algérie.


Les prévenus ont été condamnés à une peine de huit mois d’emprisonnement avec sursis pour transfert de capitaux sans déclaration ainsi que pour exercice habituel d’opérations de banque (délit prévu par l’article L. 511-5 du code monétaire et financier). Cette condamnation était assortie d’une mesure de confiscation des sommes saisies lors du contrôle douanier.


Le pourvoi critiquait en premier lieu la qualification d’opérations de banques et soutenait que les opérations de banque sont connexes et distinctes des opérations de change prévues par l’article L. 311-2 du code monétaire et financier. La Cour de cassation refuse d’y voir une opération de change et rappelle que « la réception de fonds remboursables du public » constitue une opération de banque au sens de l’article L. 311-1 du code monétaire et financier.


En second lieu, les prévenus soutenaient que la mesure de confiscation portait sur des sommes dont ils n’étaient pas propriétaires et que la Cour d’appel aurait dû rechercher si les prévenus en avaient la libre disposition et si les véritables propriétaires étaient de mauvaise foi.


La Cour de cassation rejette cette argumentation de façon lapidaire en affirmant que « la confiscation prévue par l’article 131-21, alinéa 3, du code pénal [s’étend] à tous les biens qui, comme en l’espèce, sont l’objet de l’infraction ».


L’alinéa 3 de l’article 131-21 du Code pénal qui porte sur la confiscation de l’objet ou du produit direct ou indirect de l’infraction ne limite pas expressément (à la différence de l’alinéa 2 ou l’alinéa 5 du même article) la peine complémentaire aux biens dont le condamné est propriétaire.


Il a pu être observé qu’il ne fallait pas pour autant en déduire que « le législateur a souhaité faire exception à la règle » (E. Camous, JCL. Fasc. 20 §83) pour les biens qui sont l’objet ou le produit direct ou indirect de l’infraction.


Mais cette lecture semble démentie par la Chambre criminelle de la Cour de cassation, qui faisant ici une application littérale du texte, retient que la seule limite à la confiscation de biens objet de l’infraction est la possibilité de restitution à la victime.


Il convient de confronter l’arrêt rapporté à une précédente décision confirmant un arrêt d’une chambre de l’instruction faisant application de l’article 706-150 CPP (Cass. crim. 5 mars 2014, n°13-84.977, publié au bulletin) au motif que « dès lors que la saisie des immeubles dont la confiscation est prévue par l’article 131-21, alinéa 3 du code pénal, seul fondement retenu en l’espèce, peut, sous réserve du droit du propriétaire de bonne foi, porter sur tous les biens qui sont l’objet ou le produit direct ou indirect de l’infraction ».


A l’inverse, dans l’arrêt ici rapporté, la réserve du droit du propriétaire de bonne foi ne semble pas admise. Lorsque l’infraction porte, comme en l’espèce, sur une somme d’argent, la nature fongible du bien justifierait ainsi que les juges s’abstiennent de rechercher la destination des fonds. Mais si la confiscation s’étend à tous les biens et que les tribunaux peuvent ainsi s’abstenir de vérifier les flux financiers jusqu’à leur propriétaires actuels, comment s’assurer que les biens en cause sont effectivement l’objet de l’infraction ? Quelle serait alors la différence avec la présomption d’origine illicite des fonds prévue par l’alinéa 5 de l’article 131-21 et réservée aux crimes ou délits punis d’au mois cinq ans d’emprisonnement et ayant procuré un profit ?


Il apparaît en outre étrange de considérer que les confiscations de biens ayant servi à commettre l’infraction (alinéa 2) ou de biens présumés d’origine illicite (alinéa 5) serait limitée aux biens du condamnés (et depuis 2012 à ceux dont il a la libre disposition sous réserve du propriétaire de bonne foi) tout en permettant que les biens qui sont l’objet ou le produit de l’infraction soient confiscables même s’ils n’appartiennent plus au condamné. Les droits des tiers sont menacés de manière identique dans les deux cas et aucune raison ne semble justifier une différence de traitement.


La Cour de cassation, en affirmant que tous les biens objet de l’infraction sont confiscables, peu important les droits de leurs propriétaires de bonne foi, crée une différence de traitement entre les justiciables placés dans la même situation, selon que les juges ont choisi de recourir à l’article 131-21 alinéa 5 ou alinéa 3. En effet, l’objet de l’infraction visé par l’alinéa 3 de l’article 131-21 est potentiellement inclus dans les biens dont le condamné n’a pu justifier l’origine au sens de l’alinéa 5 du même article.


L’exemple suivant permet d’illustrer la différence de traitement et les incohérences générées par cette jurisprudence de la chambre criminelle : Les dispositions de la loi du 27 mars 2012 qui ont ajouté sous l’alinéa 2 et 5 de l’article 131-21 du Code pénal la précision que les biens confiscables sont ceux « appartenant au condamné ou, sous réserve des droits du propriétaire de bonne foi, dont il a la libre disposition » aggravent les sanctions encourues en ce qu’elles permettent à l’autorité judiciaire de confisquer des biens appartenant à des tiers (et dont le condamné à la libre disposition) qui ne pouvaient pas être confisqués auparavant puisque les textes précisaient que dans ces cas, se sont les biens du condamnés qui sont confiscables. L’application de ces textes alourdissant la sanction pénale encourue ne saurait être rétroactive lorsque les faits incriminés sont antérieurs à l’entrée en vigueur de la loi. La différence de traitement est alors criante, puisque l’objet ou le produit de l’infraction placé par exemple en assurance vie ne serait pas susceptible d’être confisqué sur le fondement de l’alinéa 5 si l’infraction est antérieure à mars 2012 tandis que ce même objet ou produit de l’infraction (commise avant mars 2012) placé en assurance vie pourrait être confisqué sur le fondement de l’article 131-21 alinéa 3.


Une question prioritaire de constitutionnalité fondée sur l’article 7 de la Déclaration des droits de l’homme (principe d’égalité devant la loi des justiciables placés dans une même situation) pourrait ainsi être utilement déposée. Cette différence de traitement semble par ailleurs également violer l’article préliminaire du Code de procédure pénale qui dispose que : « les personnes se trouvant dans des conditions semblables et poursuivies pour les mêmes infractions doivent être jugées selon les mêmes règles ».

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